Homélie du dimanche 16 avril

Si la résurrection a changé le monde, elle n’a pas vraiment fait événement. Jésus aurait pu apparaitre aux foules, à grande échelle, et de façon un peu spectaculaire ! Or les apparitions du ressuscité que rapportent les évangiles sont toutes bouleversantes de discrétion. Même ressuscité, le Christ voile systématiquement l’éclat de sa divinité, se montre homme, là encore, demeure à hauteur d’homme. Quel mystère ! Décidément, Dieu se fait toujours petit, jusque dans ses manifestations les plus grandes ! Pourquoi Jésus ressuscité ne s’est-il pas montré aux habitants de Jérusalem, avides de prodige et bien prêts à s’attrouper une nouvelle fois, surtout devant un phénomène un peu sensationnel ? Pourquoi ne s’est-il pas montré aux membres du Sanhédrin, à Pilate, ou à Hérode ? L’évangile d’aujourd’hui nous aide peut-être à entrevoir la réponse. C’est que l’esbroufe n’est pas dans la manière de Jésus, et sa résurrection n’est pas de l’ordre du grand spectacle. Elle est plutôt de l’ordre la relation. Elle laisse à chacun le temps d’y entrer, peu à peu, de s’y acclimater. De nous en approcher, sans crainte. Oui, la résurrection, F et S, c’était pourtant un beau sujet pour Hollywood, mais elle n’a jamais donné de grands films. Des peintres se bien sont essayé à représenter Jésus renversant spectaculairement la pierre du tombeau, mais le geste musclé et triomphant qu’ils imaginent nous trompe toujours un peu. Si les disciples ont bien vu Jésus, une fois ressuscité, aucun ne l’a vu en train de ressusciter. Et pour tous, depuis Madeleine et sans exception, il leur faut mystérieusement le reconnaître, au terme d’un parcours lent, parfois laborieux pour lever définitivement le doute qui les paralyse. Non, la résurrection, c’est son mode, c’est son mystère, n’est jamais tape-à-l’œil, elle ne saute pas vraiment aux yeux. Ce qui n’est pas une raison pour ne pas les ouvrir… Le cas de Thomas n’est donc en vérité pas si singulier. A trois reprises, dans son évangile, Saint Jean précise d’ailleurs que Thomas veut dire « jumeau », ce qui apparemment ne semble pas un détail à ses yeux. Jumeau de qui ? Jean ne le dit jamais. Place vacante en un sens… Jumeau de tous ceux, comme vous et moi, qui ont et auront toujours besoin d’un pas de plus dans la foi. Thomas, comme se plaît à le dire la tradition populaire, n’est pas qu’un sceptique bougrement entêté, un petit malin un tantinet arrogant à qui on ne la fait pas, et qui ne croit jamais que ce qu’il voit ! Non, Thomas ne mérite pas sa réputation légendaire. C’était plutôt un homme qui croyait fort en Jésus, et comment ! Peut-être même plus que tous les autres ! Il avait lié toute son existence à celle de Jésus, fait des choix, sans doute radicaux, engagé sa vie, renoncé à bien des possibles. Un apôtre des plus ardents, notre Thomas ! Quand Jésus monte à Jérusalem pour la dernière fois, c’est lui qui, dans un zèle touchant, sincère, exhorte les apôtres, les entraîne en s’écriant : « Allons-y, nous aussi, et nous mourrons avec lui ! » Généreux ce Thomas ! Courageux sans doute, courageux mais fragile. Fragile, comme tout homme. Jésus (et avec quel regard d’amour !) avait vu naguère son cœur généreux et zélé. Il verra aussi ce jour-là sa défaillance. Il en a vu d’autres, tant d’autres… Et non, Thomas finalement n’est pas mort avec lui. Après son arrestation, il a fui. Comme les autres, il s’est enfui. Il n’a pas tenu parole. Oui, Thomas est bien notre jumeau, nous qui si souvent manquons aussi à l’appel, manquons à ces rendez-vous d’amour décisifs auxquels la vie parfois nous appelle. Pour comprendre l’incroyable miséricorde de Dieu que nous fêtons en ce jour, il faudrait retrouver un peu du regard que Jésus a dû poser sur notre frère Thomas ce jour-là, et dont le peintre Le Guerchin est sans doute parmi ceux qui s’en sont approché le plus.

Diacre Patrick LAUDET

Pauvre Thomas ! C’est que depuis plus d’une semaine, il avait perdu celui qu’il n’aurait jamais voulu lâcher. Sa seule certitude désormais, c’était celle des tortures et de la mort de Jésus. Les images de cette terrible réalité, ses mains percées, les clous, son côté ouvert pas la lance, dans sa tête, dans son cœur, il se les repasse, en boucle. Elles le hantent. Comme un traumatisme. Thomas, le grand traumatisé des plaies et blessures de son Seigneur !  « Tant que je ne les aurai pas sous les yeux –autant dire jamais- ne me parlez pas d’autre chose, ne venez pas m’en conter. » Thomas l’inconsolable, bien autant que Thomas l’incrédule. Voir pour croire n’a d’ailleurs rien de répréhensible, c’est même à travers des signes tangibles que Jésus nous amène à croire qu’il est le fils de Dieu. En exigeant de voir les marques des clous et de la lance, et même d’y mettre le doigt, Thomas courait certes le risque d’exhiber devant tous un réflexe de médecin légiste. Les autres ont dû trembler devant l’insolence d’une telle demande, un peu culottée tout de même ! Qui, sinon Jésus, voyait aussi, derrière l’audace apparente, sa profonde souffrance, sa grande détresse ? Dis seulement une parole et je serai guéri : en accédant à sa demande, un peu folle, Jésus consent alors à ce qu’il sait être moins une demande de vérification qu’une demande de guérison : « Avance ton doigt ici, et vois mes mains ; avance ta main, et mets là dans mon côté ». Des mots bouleversants à bien les entendre, comme si, avec un tel consentement, il le prenait dans ses bras, comme si, avec ces mots, il le prenait sur son cœur… Avance ta main, et mets là dans mon côté. 

       Thomas l’a-t-il fait ? A-t-il mis la main dans son côté ? Des peintres, dont le Guerchin ou le Caravage l’ont imaginé, l’évangéliste lui ne le dit pas et nous ne le saurons jamais. Ce que nous savons en revanche, c’est que c’est lui, Thomas, qui s’est alors laissé toucher par l’incroyable miséricorde de ce Dieu qui ne voyait pas d’abord son péché mais, à cet instant, la foi profonde, souffrante et comme anéantie de cet homme. Avance ta main, et mets là dans mon côté. En un éclair, un petit miracle ! La force et la tendresse des mots du Christ le sortent soudain du tombeau de la défiance, elle le ressuscite ! Oui, en lui faisant cette inimaginable proposition, Jésus le guérit, le ramène à la vie. Il lui a donné à toucher ses plaies et par là l’amour et la Vie ! Du cœur de Thomas jaillit alors la plus belle profession de foi jamais prononcée dans l’évangile, qui retentit comme une embrassade définitive après séparation : « Mon Seigneur et mon Dieu ! »  Tant d’amour et tant de joie dans ces deux apostrophes, dans ces quelques mots de retrouvailles où Thomas comprend soudain qu’il est rendu à la Vie. Avant son arrivée, en présence des autres apôtres, l’avez-vous remarqué, comme pour les recréer ainsi que Dieu le fit avec le premier Adam, Jésus « souffla sur eux ». Quel beau moment ! Thomas, qui n’était pas encore rentré, avait loupé le souffle, le malheureux…mais il a eu bien mieux : pour lui seul, les mots aimants d’une incroyable et unique bénédiction : « avance ta main et mets la dans mon côté ».

     Avancer la main, frères et sœurs, c’est ce que nous ferons tout à l’heure pour recevoir l’eucharistie. Puissions-nous alors, en jumeau de Thomas que nous sommes tous, entendre le Christ dire à chacun de nous ce matin encore, dans un souffle de tendresse et de miséricorde dont nous n’avons sans doute guère idée : « Oui, ce matin encore, avance ta main et mets la dans mon côté » … Approche toi de mon cœur … Notre assemblée d’aujourd’hui ne ressemble-t-elle pas un peu à ce moment d’évangile : certes, elle n’est pas clandestine, puisque nous ne verrouillons pas les portes de l’église. Mais elle n’est pas spectaculaire, même dans cette cathédrale, et il est bon qu’elle ne le soit pas. Nous ne sommes pas venus à l’Eucharistie comme des supporters au stade, pour applaudir les vedettes du sport ou de la chanson sous les feux de la rampe. Nous sommes venus conduits par une illumination intérieure vers un Dieu ressuscité, mais dont l’éclat, il faut bien le reconnaître, reste encore mystérieusement voilé. Ce jour-là, Jésus vint et il était au milieu d’eux. Non, la résurrection n’est pas là pour susciter en nous la stupéfaction mais pour renouer avec nous la relation. Ce matin encore, croyons le F et S, Jésus vient et il se tient au milieu de nous. Oui, il est là. Il est à la portée de nos oreilles, car il nous parle, il est à la portée de nos mains, dans lesquelles c’est lui-même tout à l’heure qui déposera son corps de ressuscité en soufflant à nos oreilles : « avance ta main, et mets la dans mon côté ». Que lui dirons-nous alors, F et S ? Mettrons-nous alors nos propres mots, nos pauvres mots d’incrédules dans la si belle réponse de Thomas ?

Amen

(Jn, 20, 19-31) Cathédrale Saint Jean 2ème dimanche de Pâques. 16 avril 2023

Liubomyr PETSIUKH

Responsable communication

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