Homélie du dimanche des Rameaux

Dites-moi, c’est rare qu’à la messe on écoute deux évangiles, il n’y a bien que ce dimanche des rameaux. Et quels évangiles !… En effet Quel contraste saisissant entre l’entrée triomphale de Jésus à Jérusalem et son lynchage en règle, son extrême déréliction à la Passion, au Golgota, chassé de la ville sainte. D’un côté des chants de fête, des « Hosanna », des louanges, des bénédictions et de l’autre des insultes, des cris de haine, de mise à mort : « Crucifie-le, crucifie-le ». En l’espace d’un instant, on passe du chaud au froid ! Comment comprendre ?

  Oh, vous allez me dire, ces deux évangiles illustrent bien le côté versatile de l’opinion publique. Ce sont les mêmes qui applaudissent aujourd’hui Jésus et qui demain, vendredi saint, le renieront, l’abandonneront, le condamneront comme un moins que rien, comme un déchet : « A mort, à mort ! » Oui, quel revirement si soudain… Les foules sont versatiles, notre cœur l’est aussi. Il est à la merci de toutes les pressions, les rumeurs et l’attrait du pouvoir.

  Aussi avec ces deux récits d’évangile, on peut se demander si ces récits ne seraient pas plutôt ceux d’une anti-fête des rameaux ou plutôt d’une fête reposant sur une méprise ?  Avec le récit de l’entrée royale de Jésus à Jérusalem, on y accueille un nouveau roi, un descendant de David, le sauveur politique de cette terre occupée par les romains. Or, sa vie durant, Jésus n’ira jamais sur ce terrain.

  Pourtant n’est-ce pas l’attente du peuple ? Un vrai roi, un sauveur qui lui redonne son indépendance et sa fierté. Jésus arrive sur un âne et il est regardé comme un roi. Pourtant, quelques chapitres plus loin, Jésus démentira sa prétention politique, devant Pilate. C’est ce que nous venons d’entendre : « Jésus comparut devant le gouverneur qui l’interrogea : Est-ce toi le roi des Juifs ? Jésus répondit : « C’est toi qui le dis » (Matthieu 27,11). Nous sentons bien qu’il y a ici une pointe d’ironie dans la réponse de Jésus. Et vendredi saint, dans la Passion selon St Jean, on ira plus loin encore quand Jésus déclarera à Pilate : « Mon royaume n’est pas de ce monde » (Jean 18,36) Ce jour-là, Jésus aura une couronne de roi, mais une couronne d’épines, il sera vu comme un moins que rien. Voilà, comme souvent dans l’histoire, on acclame à Jérusalem un sauveur en attendant tout de lui, et en le rejetant ensuite. Cette même foule, quelques versets plus loin (27,21), réclamera la libération de Barabbas, confirmant ainsi sa volonté de tuer Jésus.

   Ce passage est sans doute le plus incroyable récit de la versatilité d’un peuple face au sauveur attendu. Mais c’est un grand classique de l’histoire. En France, combien de « sauveurs politiques » avons-nous rejetés après ? Et on peut appliquer cela aussi à notre rapport à Dieu. Nous attendons parfois tout de lui, y compris une guérison ou un miracle. Et cela n’arrive pas toujours… Combien de personnes arrêtent alors de croire en lui à cause de déceptions tragiques ? Ne sommes-nous pas trop souvent en attente d’une toute puissance divine qui viendrait régler tous nos problèmes ?

   Or, justement, le Dieu de l’Evangile, révélé par ce Jésus de la Passion, n’est pas un marionnettiste de nos épreuves et de nos guérisons, mais celui qui nous rejoint jusque dans nos souffrances. Ce n’est pas un Dieu sadique, ni un Dieu rémunérateur, qui condamnerait ou guérirait, mais un Dieu fragile et, au sens étymologique, compatissant, qui « souffre avec nous ».

   Alors si l’entrée de Jésus à Jérusalem est triomphale, la suite est plus précaire, elle est à l’image de notre humanité. Et le récit, à la fin, au matin de Pâques, videra nos tombeaux de souffrance et de désespoir. Autant dire que notre regard ce dimanche doit porter plus loin que l’instant éphémère d’une gloire, et s’inscrire dans la durée quotidienne de nos vies, patiemment, inlassablement afin de répondre à cette question centrale de l’évangile : mais « qui est cet homme ? » Jésus, pour Dieu et par la même pour nous.

   Allez le dimanche des rameaux est le porche d’entrée dans cette grande semaine sainte où nous sommes invités à faire encore un long chemin à la suite de Jésus, jusqu’en sa mort et sa résurrection pour pouvoir proclamer au matin de Pâques avec le psalmiste : « Qui donc est ce roi de gloire ? C’est le Seigneur, Dieu de l’Univers, c’est lui, le roi de gloire. » (Ps 23,10)

Liubomyr PETSIUKH

Responsable communication

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