Nous voilà déjà au 5° dimanche du temps pascal. Peut-être avons-nous le sentiment que la lumière qui nous est venue du matin de Pâques s’éloigne peu à peu, inexorablement. En effet quel curieux évangile pour un dimanche de Pâques. On nous parle de vigne, de la vraie vigne, et du travail du vigneron qui fait tout pour que la vigne porte du fruit. Mais aucune mention de la résurrection.
Bon, en parlant de vigne, en faisant appel à un thème familier en Israël, – souvenez-vous, les prophètes avaient souvent comparé le peuple a une vigne dont Dieu était le vigneron- et bien Jésus nous fait signe tout de même qu’il y a de l’abondance dans l’air, avec la beauté du fruit de cette vigne qui étend au loin ses branches, cette vigne dont la beauté du fruit attire les passants, avec ses lourdes grappes gonflées de sève, la sève de joie, de paix, de s charité, de sa vie donnée, donnée pour le monde entier. Oui, toute cette profusion de vie ne serait-elle pas encore un des signes de la Résurrection ? Aussi à l’écoute de ces paroles : « C’est moi le vrai cep et mon Père est le vigneron » nous sommes donc invités ce dimanche encore à rester branchés, « connectés » au Ressuscité !
Mais pour cela, peut-être, faut-il nous faire une âme de vignerons, ou au moins de jardiniers, pour comprendre jusqu’où le Ressuscité veut nous entraîner. Car à lire le discours sur la vigne et les sarments, Jésus pousse loin la comparaison : il est lui-même l’ensemble de la vigne, et nous les sarments. Voilà une belle image où nous découvrons que croire en lui, Ressuscité, ne signifie pas seulement une option, une croyance, une adhésion d’ordre intellectuel : il s’agit d’une véritable greffe. Désormais la même sève nous irrigue, lui et nous. Voilà qui devrait nous donner aujourd’hui toutes les audaces ! « Ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi » disait St Paul (Ga 2,20)
En fait, en parlant de la vigne et des sarments, Jésus adresse deux invitations à ses disciples : l’une à demeurer en lui, et l’autre à porter du fruit. La première expression : « demeurer en lui » qualifie la relation la plus forte qui soit. Le sarment n’est pas extérieur au plant de vigne. La même sève les vivifie l’un et l’autre. Expérience que vivent ceux qui s’aiment. Dans leur cœur, l’autre est toujours à demeure. Dans le credo nous ne disons pas « je crois Dieu ou à Dieu » mais je crois en Dieu. Je dépose en Dieu ma confiance, je remets mon être entre ses mains. Quand nous proclamons notre foi et ce que nous croyons, il ne s’agit donc pas d’abord de proclamer un catalogue de convictions sur la base de raisonnements et de preuves. La foi n’est pas essentiellement un rapport intellectuel à des dogmes, à des vérités, à des affirmations abstraites. Croire en Dieu c’est vivre une relation de confiance en lui comme Père, connectés à lui par le Fils grâce à son Esprit, la sève de sa vie qui irrigue toute notre existence. La profession de foi est une déclaration d’amour et confiance, dans le cadre d’une alliance. Elle réaffirme et consolide une fidélité : nous disons et re- disons « en qui nous avons mis notre confiance », en qui nous avons fait notre demeure, élu spirituellement et cordialement domicile. En même temps, nous contemplons le grand mystère de notre foi : Dieu lui-même, en Jésus Christ, a pris l’initiative d’établir en nous sa demeure, pour que nous demeurions en lui.
Mais l’expérience de la foi chrétienne n’est pas non plus uniquement extatique et intimiste. Une deuxième expression « porter du fruit en abondance » revient cinq fois dans l’évangile de ce dimanche. C’est dire combien le christianisme repose sur un principe de réalité. Comment savoir en effet si nous demeurons vraiment en Jésus Christ, si nous sommes dans la vérité ou bien dans l’erreur et le mensonge. Est-ce en mesurant le degré de nos émotions, l’intensité de nos sentiments, en écoutant nos états d’âme, en jouissant d’extases ou de visions ? Rien de tout cela dans la bouche de Jésus. Tout simplement, nous dit-il, en aimant les autres, comme il les a lui-même aimés et a donné sa vie pour eux. L’intériorité spirituelle chrétienne n’est donc pas une clôture et un repli sur soi mais une sortie de soi. Elle n’est authentiquement chrétienne que si elle porte du fruit, dans un regard, une écoute, un don hors de soi-même. C’est en servant les autres, en leur offrant le meilleur de nous-mêmes, en semant autour de nous, vie, joie, bienveillance, pardon, en refusant ce qui opprime, défigure ou désespère le plus petit de nos frères et de nos sœurs, que nous sommes appelés à vérifier si nous demeurons dans le Christ. Bref en vivant et en agissant dans son Esprit, en portant des fruits qui feront le régal des autres, qui donneront au pressoir le bon vin comme aux noces de Cana pour réjouir les cœurs.
St Jean nous rappelle tout cela dans sa première lettre aujourd’hui. « Mes enfants, nous devons aimer, non pas avec des paroles et des discours, mais par des actes et en vérité. » Ainsi, le seul moyen « d’élire domicile » en Dieu, c’est de libérer en nous les forces de l’amour. Un amour que nous n’avons pas à chercher très loin, car la seule véritable adresse de Dieu, c’est notre propre cœur que le Christ nous invite à convertir.
« Moi je suis la vigne et vous les sarments. Celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là porte beaucoup de fruit ». Souvent, Seigneur, je suis « hors de moi » : parfois en colère, mais plus souvent « à côté » de mon être profond, coupé de ce qui devrait être la seule préoccupation de ma vie : aimer. A chaque fois que je suis « hors de moi », c’est « hors de toi » que je me tiens, Seigneur. Comme Paul sur le chemin de Damas, viens renverser le cheval de mon aveuglement, fais-moi « entrer dans le groupe de tes disciples ». Rappelle-moi, comme le fit si bien la « petite Thérèse », que « ma vocation c’est l’amour… » C’est l’inouï du matin de Pâques, l’amour est plus fort que la mort ! Amen