La sortie de la messe fait partie de la messe, elle est un moment important comme les autres. Parfois la sortie de nos messes est une véritable fête, les fidèles franchissent la porte le visage illuminé par un grand sourire. Parfois la sortie s’apparente plus à un sauve-qui-peut général comme si le chant final déclenchait l’alarme du feu dans la Primatiale. On peut aussi sortir de la messe ni vu ni connu, le berret enfoncé sur le front, le col du manteau relevé jusqu’aux oreilles et surtout qu’on ne nous agresse pas par un salut inopiné ! Mais que venons nous de faire ? A quel événement avons-nous participé ? Nous avons participé à l’eucharistie, nous avons mangé la même nourriture, nous avons participé au même repas, communié au même corps du Christ.   

Saint Paul dans l’épître aux Galates écrit “Il n’y a ni Juif ni Grec, il n’y a ni esclave ni homme libre, il n’y a ni homme ni femme ; car tous vous ne faites qu’un dans le Christ Jésus” (Ga 3, 28). Paul exprime ici ce qui fait la nouveauté accomplie par l’Eucharistie.   En effet l’eucharistie nous réunit quel que soit notre origine, notre culture, notre condition sociale. Nous sommes rassemblés à la messe sans nous être choisis, nous sommes réunis par notre seule foi, et nous sommes appelés à devenir un corps unique en partageant la même nourriture, le corps du Christ. Jésus institue l’eucharistie pour que par elle nous formions un seul corps, pour que nous nous accueillons les uns les autres afin de former un seul corps, le corps du Christ.  

Le pain composé de nombreux grains nous fait comprendre cet aspect du mystère de l’eucharistie : nous-mêmes, aussi nombreux et différents que nous soyons, nous sommes appelés à devenir un seul pain, un seul corps (1 Co 10, 17). Ainsi, le signe du pain nous reconduit à l’exigence de l’amour fraternel, au commandement de l’amour fraternel. 

Alors osons rêver une peu, I had a dream : si nos messes, nos sorties de messe pouvaient être davantage l’occasion de se saluer, de s’accueillir, de relever le berret et descendre le col du manteau, de faire tomber nos timidités voire nos peurs de l’autre, d’élargir notre cercle de salutations, faire tomber la peur de perdre du temps. Si le fruit de l’eucharistie pouvait être véritablement une fête, Fête-Dieu, la joie de nous faire toucher une improbable communion qui a pour fondement l’amour du Christ. 

L’eucharistie est un repas, c’est au cours d’un repas que le Christ l’a instituée, c’est au cours d’un repas que les premiers chrétiens célébraient ce mystère. Mais qu’avons-nous sur la table ? Quelle nourriture partageons-nous au cours de ce repas ?  

Le pain consacré est devenu le corps du Christ. Dans l’hostie le Christ est présent, Jésus n’a pas dit en instituant l’eucharistie : « ceci représente mon corps » mais il a dit : « ceci est mon corps ». Dans ce pain fait de grains moulus se cache le mystère du Christ fait pain sur la Croix. Le blé a été moulu pour devenir farine, le grain est en quelque sorte mort pour devenir pain, pour devenir fécond parce que nourriture pour notre vie.  

L’hostie, le Christ fait pain, est l’aliment le plus important pour notre vie, ce dont elle a le plus besoin : Dieu lui-même. Dans l’hostie le Christ vient lui-même à nous pour demeurer en nous. C’est pourquoi après avoir communier vient le temps de se recueillir, d’offrir au Christ hostie un cœur attentif et aimant, un temps de silence et d’intimité vécu dans la foi qui nous fait rejoindre la présence du Christ. 

Toute nourriture a ses vertus propres, le nutri-score est censé tracé une échelle qui va du premier de la classe au cancre de l’alimentation, mais certaines nourritures ont des vertus exceptionnelles. Le Lotos que devait manger Ulysse, héros de l’Odyssée, avait cette vertu effrayante d’effacer toute mémoire, la pomme qu’Eve tend à Adam eut le goût amère de les rendre mortels. L’hostie, elle, nous donne la vie en surabondance. Elle a la vertu de nous faire toucher le terme de notre voyage terrestre comme la barque des apôtres touche terre dès que Jésus monte à bord.  Cette nouvelle terre, ce n’est rien de moins que la vie éternelle : « qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle » dit Jésus.  

La vertu de l’eucharistie c’est de nourrir ainsi notre espérance. L’eucharistie est le pain du voyageur : voyageurs nous le sommes ici-bas, nous sommes de passage, en route vers Dieu, notre vie est une préparation à cette rencontre avec le Seigneur.  De même que Dieu donna à Israël la manne pour le fortifier afin qu’il traverse le désert et atteigne la terre promise au bout de 40 ans. De même cette hostie nous donne le Christ, le roc de sa présence sur lequel appuyer notre marche ce jusqu’à nos derniers pas, notre dernier souffle.  

À travers ce pain devenu hostie le Christ nous rejoint, que nous soyons joyeux et épanouis ou que nous soyons comme les disciples d’Emmaüs, il nous rejoint dans nos moments de désarroi, de doute voire de désespoir, il nous rejoint et nous console dans nos souffrances. Au moment de mourir Jésus hostie nous assiste dans l’ultime combat, il nous fait faire l’ultime passage de la mort à la vie.   

En cette Fête-Dieu nous nous agenouillons devant l’Eucharistie, c’est devant Jésus hostie seulement que nous nous inclinons et nous nous prosternons et non devant une quelconque puissance terrestre. « Nous ne nous agenouillons que devant Dieu, devant le Très Saint Sacrement, écrit le pape Benoit XVI, parce qu’en lui nous savons et nous croyons qu’est présent le seul Dieu véritable, qui a créé le monde et l’a tant aimé au point de lui donner son Fils unique (cf. Jn 3, 16) ». Nous nous prosternons devant Dieu fait humblement pain pour servir notre espérance et notre joie, celle qui ne passe pas. Nous nous agenouillons et nous adorons cette humble hostie parce que nous croyons qu’en elle se trouve réellement le Christ, le Fils très aimé de Dieu. Il ne nous condamne pas, il ne nous écrase pas, il ne nous oublie pas. Adorons-le, accueillons-le avec tout l’amour de notre cœur. Dans cette adoration demandons à Jésus de s’installer dans notre cœur, dans notre vie et qu’il la transforme à son image : « ceci est mon corps, prenez et mangez ».  

Père François Frédéric