Jugement, oui forcément, c’est un mot qui fait peur. On songe aux anges à la pesée, qui, de vitraux en frontons de cathédrale, soupèsent les âmes à leur poids de péchés. Sauvé, damné. Ne se prononce pas, du moins pas encore, on verra après le purgatoire. Jésus lui-même n’y va pas par quatre chemins. Ce dimanche, la grande scène, du chapitre 25 dans l’évangile de Matthieu montre bien le partage entre ceux qui ont accordé un verre d’eau à un petit, visité un malade, et ceux qui sont passés sans les voir. Il n’y a pas de doute, il y aura bien un jugement.
Il semble pourtant que l’objectif de Dieu ne soit pas de juger mais de sauver. Alors, comment concilier ces images de jugement qui abandent dans l’Evangile, et la promesse du Salut, promesse adressée tous azimuts, en particulier à ceux qu’on nomme volontiers « réprouvés », filles de rien et hommes de peu ?
D’abord regardons du côté de la peur. L’Evangile nous rapporte le cas du serviteur qui a enfoui son talent sans le faire fructifier. Que se passe-t-il ? Eh bien, c’est ce serviteur paresseux qui juge le maître : « Seigneur, dit-il, j’ai appris à te connaître pour un homme âpre au gain : tu moissonnes où tu n’as point semé, et tu ramasses où tu n’as rien répandu. Aussi pris de peur, je suis allé enfouir ton talent dans la terre. Le voici, tu as ton bien » (Mt 25, 24-25). Ce serviteur veut être « quitte ». Fin des relations avec ce maître ! Dans la parabole des ouvriers de la dernière heure, on voit de nouveau des ouvriers juger la générosité du maître. Et au jaloux, le maître répond : « Faut-il que tu sois jaloux parce que je sui bon ? » (Mt 20,15)
Alors, est-ce qu’il y aura un jugement ? Sans hésitation, je réponds oui, parce que Dieu ne nous prend pas pour des enfants irresponsables, et nous aurons à répondre de notre vie. La grande question, c’est quel droit de regard accorderons-nous à Dieu ? Craindrons-nous le regard de Dieu, ou serons-nous capables de nous y exposer, de dire comme le psalmiste : « Sonde-moi, ô Dieu, connais mon cœur, scrute-moi, connais mon souci ; vois que mon chemin ne soit pas fatal, conduis-moi sur le chemin d’éternité » (Ps 139, 23-24).
Car la vérité, c’est que la justice de Dieu ne nous juge pas, elle nous justifie, elle fait triompher le bien sur le mal, jusque dans notre propre cœur, mais pas sans notre consentement. Et si nous devons nous tenir à l’issue de notre chemin sur cette terre, sous le regard de Dieu, pour qu’en nous, le mal soit définitivement détruit et le bien exalté, l’Evangile nous recommande d’y consentir chaque jour dès aujourd’hui. En cette matière, mieux vaut, nous semble-t-il un peu d’entraînement. Le temps de l’Avent qui s’annonce va nous y aider.
P.ROLLIN+ Recteur de la cathédrale Saint-Jean Baptiste.