Deux expériences de tempête dans les lectures de ce dimanche. Elles sont vécues par un saint homme : Job et par Jésus et ses disciples. Mais la tempête ça n’arrive pas qu’aux autres. On croit vivre à l’abri des tempêtes mais ces choses-là vous tombent dessus sans crier gare, un peu comme ces bombes qui explosent dans les halls de départ et qui tuent sauvagement, aveuglément. 

   C’est le coup de fil, cette nuit-là, juste après l’accident mortel. L’attente interminable, à la porte du sass, devant la salle d’opération. L’absence nue, après les obsèques, quand les amis s’en sont allés. Et tant d’autres formes encore de séparations et de ruptures : les mots qui les provoquent, ceux qui les accompagnent. Découvrir qu’il y eu erreur sur la personne : on s’est trompé sur qui nous tient le plus à cœur. Sans parler de l’insondable malheur des autres. Job maudissait le jour de sa naissance. Job, où l’excès du mal, la voix des sans voix. 

   Et pendant ce temps- là, nous dit l’évangile : « Jésus dormait ». Silence de Dieu ! Absence de Dieu ! Tout se passe comme s’il n’était pas là. Il faut comprendre ceux que ce silence et cette absence accablent, scandalisent ou révoltent.  

   Mais l’Evangile va encore plus loin et laisse entendre, à ceux qui veulent bien l’entendre, que Dieu est là où on l’attend le moins, là où on ne l’attend plus, que Dieu est là où il semble le plus absent. Du combat de Jacob, en passant par Moïse au buisson, jusqu’à ceux d’Emmaüs, c’est le même cri du cœur : « Dieu était là et nous ne le savions pas. » Leur cœur brûlait déjà, mais leurs yeux appesantis ne l’avaient pas reconnu. Ce qui veut dire que Dieu n’est pas forcément chez lui dans nos sécurités. Ce qui veut dire que Dieu et le calme ne font pas forcément bon ménage. Ce qui veut dire que la paix promise n’a rien à voir avec le demi sommeil d’une vie sans histoires. Car Dieu est toujours le Dieu des traversées, le Dieu des passages.  

  Et tel fut le cas de Jésus dans l’évangile de ce dimanche, quand il décide de passer avec ses disciples « sur l’autre rive », le pays des Géraséniens, cette terre étrangère, païenne, hostile… Comme quoi passer sur l’autre rive expose toujours à la tempête. 

   « Passons sur l’autre rive. » St Marc fait souvent mention de cette autre rive dans son Evangile. La rive-est du lac où habitent les non-juifs, les non-croyants. Une rive pareille à la lointaine Ninive, une rive qui n’attire guère les disciples en bons juifs qu’ils sont. L’étranger fait toujours peur. 

    Pourtant Jésus venait de parler en paraboles du Règne de Dieu semblable à un arbre aux longues branches, destiné à rassembler tous les oiseaux du ciel. Les peuples païens aussi bien que le peuple juif. Alors sans doute, les disciples sont-ils pris de peur, quand ils entendent tous ces propos de Jésus et son invitation à passer sur des rives dangereuses. Cela soulève en eux des tempêtes intérieures. Faut dire qu’ils suivent Jésus depuis si peu de temps. Qui dont est-il cet homme dont le langage et le comportement leurs paraissent étrangers et non conformistes ? Etrange en effet, il les désinstalle en les envoyant en terre inconnue et de surcroit en pleine nuit. Plus étrange et choquant encore, en pleine tempête qui survient pendant la traversée, non seulement Jésus n’a pas le mal de mer, mais il dort sur un coussin à l’arrière. Oh, son sommeil n’est pas bouderie comme celui de Jonas au fond du vaisseau. Il évoque plutôt le silence de Dieu devant les plaintes de Job. Job où Dieu dans la tempête ! 

     Mais dans ce passage sur l’autre rive, quelle est la cause de cette soudaine tempête que rien ne laissait attendre car même les marins chevronnés que sont plusieurs des disciples n’ont décelé aucun signe avant-coureur de ce tourbillon dévastateur. En fait, cette tempête sur le lac et dans le cœur des disciples est une étape importante dans leur chemin de foi à la suite de Jésus. Centrés sur eux-mêmes, ils passent de la peur qui les paralyse en pleine tempête à la crainte respectueuse devant le mystère de cet homme Jésus. Ses pensées à lui sont plus larges que les leurs. Elles sont celles de Dieu qui n’exclut aucune personne, ni aucune nation de sa bienveillance et de son amour. 

   Au sommeil de Jésus succède son réveil, comme à sa mort succèdera sa résurrection, sa victoire sur le mal et la mort. Comme Dieu a parlé à Job, il commande à la mer au sein de la tempête, il l’exorcise de ses démons, car il maîtrise lui aussi le chaos de leur cœur. Et alors qu’un geste aurait pu suffire, il parle au vent et à la mer comme il parle aux esprits mauvais pour les chasser : « Il interpelle le vent avec vivacité et il dit à la mer : Silence, tais-toi ! » Il ne dit pas : arrête de souffler, arrête de remuer ». Il dit : « Arrête de trop parler, et de parler trop fort, de faire trop de bruit. » car la puissance de salut de Dieu n’est pas en sommeil, bien au contraire, contre vents et marées, elle est à l’œuvre.  

   En faisant taire la tempête, une fois de plus Jésus fait signe que la parole de Dieu l’emporte sur les forces du mal et de mort. Et s’il se dresse ici contre les vents et les tourments qui agitent nos vies, c’est pour ne pas laisser notre désarroi devant le mal étouffer le souffle de vie que Dieu a déposée en nous. Avec lui, nous pouvons dire nous aussi au mal : « tu n’iras pas plus loin, ici s’arrête l’orgueil de tes flôts ».  

   Alors aujourd’hui peut-on dire que la mer est toujours d’huile ? A une semaine des élections législatives, beaucoup s’écrient : « Seigneur, nous sommes perdus. Cela ne te fait rien ? » Eh bien, si l’évangile de ce jour nous plonge dans la tempête, c’est pour nous appeler à un sursaut de confiance. Soyons-en sûr, jamais le Ressuscité ne quittera le navire. Nous savons qu’il est à nos côtés pour affermir en nous l’espérance.