Jaïr. Il s’appelle Jaïr ! Un nom que l’on porte rarement. La Bible en connaît peu : cinq dans l’AT et un seul dans le NT, le nôtre ce dimanche. 

Un beau nom pourtant, un nom lumineux s’il en est : en hébreu, Ya’ir veut dire « il fait luire », « il illumine ». 

Sauf que ce jour-là n’est pas lumineux du tout pour Jaïr. Il n’y a plus de lumière en lui. Sa petite fille, nous dit-on, se trouve « à la dernière extrémité ». Il lui reste sans doute peu de temps à vivre. Bientôt, on nous apprendra son décès. 

Triste jour dans ces moments sombres de la vie où l’on apprend que l’un de nos proches, gravement malade, est en train de mourir… 

Jaïr tente le tout pour le tout. À genoux devant Jésus, il le supplie pour sa fille : « viens lui imposer les mains pour qu’elle soit sauvée et qu’elle vive ». 

Étonnante demande de ce juif, qui plus est chef de synagogue, auprès de ce Nazaréen itinérant et contestataire qui fait polémique jusque dans son propre camp. On le prend pour un fou. On le dit possédé. Même sa famille ne le reconnaît pas.  

« Faites une petite prière pour moi ! » Parole souvent entendue de la part de ceux qui, loin de nos cercles chrétiens, ne croient plus ni à Dieu, ni à diable mais qui osent encore se recommander à notre prière, aux heures graves de la vie, lorsqu’il ne reste plus aucun espoir… si ce n’est précisément le recours à la prière, le contact avec Dieu, le toucher divin. 

Comme cette femme au milieu de la cohue qui s’approche de Jésus par derrière et qui le touche. 

Elle perdait du sang – et donc la vie – depuis douze ans, l’âge même de la fille de Jaïr. Une hémorragie qu’aucun traitement ne guérissait. Elle vient toucher Jésus. Drôle de manière de prier tout de même… Et pourtant ! 

La souffrance de cette femme, tout comme le décès de la petite, interroge nos représentations de Dieu et de sa Toute-puissance. 

Que fait-il ? Comment peut-il permettre cela ? 

Comme pour les disciples apeurés par les flots en furie dimanche dernier, une question revient : où donc est Dieu ? Tant il semble absent, endormi au fond de la barque…  

Ces questions qui traversent nos vies traversent aussi toute l’Ecriture. Et cela n’est pas étonnant puisque la Parole de Dieu est une histoire de vie saisie par la foi. Et de vie, il en est sans cesse question dans les textes de l’Ecriture. Voyez les paroles percutantes du livre de la Sagesse, écrit peu avant l’ère chrétienne.  

 

 

A l’époque, la communauté juive d’Alexandrie est aux prises avec des courants philosophiques grecs qui séduisent beaucoup de jeunes israélites tentés de renier leur foi. 

« Dieu n’a pas fait la mort. Il ne réjouit pas de voir mourir les êtres vivants ». L’auteur du livre le dit sans détour : le dessein de Dieu est tout entier centré sur la vie. Tout est créé pour la vie, tout est porteur de vie. 

Pourtant, force est de reconnaître que, malgré tout, la puissance de la mort règne encore sur la terre et que la justice est loin d’être immortelle. 

Il suffit d’ouvrir les premières pages de la Bible pour constater que, dès la Genèse, par la jalousie des humains, la mort est entrée dans le monde.  

Mais la mort n’est pas le dernier mot de la Bible pas plus qu’elle n’est le dernier mot d’une vie en Dieu. 

L’évangéliste Marc le sait bien au moment où il met en scène cet appel à la vie par les gestes de Jésus. Lui non plus ne se réjouit pas de la mort des vivants. 

Son engagement pour la vie ne se paie pas de mots. Il se vit en actes, et doublement ! 

Voyez comment il se laisse toucher physiquement par la femme qui l’approche par derrière. Au moment où elle met la main sur lui, la voilà sauvée. 

Et c’est lui qui, un peu plus loin, ira toucher la jeune fille, comme si le toucher de l’une donnait le relais à l’autre via l’entremise de Jésus. 

Elle aussi est sauvée. Et combien ! Alors qu’on l’a considérait morte, la petite va s’éveiller, se lever et marcher, exactement comme Jésus au départ. 

Le comble des déplacements que provoquent les lectures de jour se trouve résumé dans la phrase audacieuse et lumineuse de Paul : « vous connaissez en effet le don généreux de notre Seigneur Jésus-Christ : lui qui est riche, il s’est fait pauvre à cause de vous, pour que vous deveniez riches par sa pauvreté » 

Etonnant paradoxe évangélique ! Un de plus. N’est pas pauvre qui l’on croit, pas plus que n’est riche qui l’on prétend. 

Il s’agit bien d’être enrichi, non par l’assurance d’une prospérité garantie mais par l’accueil d’une parole inattendue, par la beauté d’un geste qui nous touche au cœur de nos souffrances et même de nos morts. 

Ainsi passe la vie de Dieu : dans l’enlacement des mains et des touchers, dans l’entrelacement des forces de vie et des retournements intérieurs. 

L’évangile est donc bien pour les Jaïr, une Bonne Nouvelle, une Nouvelle lumineuse, un art de tisser en nous un récit de vie où s’enlacent nos résurrections. 

Amen. 

+B.PINÇCON