Une phrase rude de Jésus dans l’Evangile de Marc pour notre réflexion ce dimanche : « Amen, je vous le dis, tout sera pardonné aux enfants des hommes : leurs péchés et les blasphèmes qu’ils auront proférés. Mais si quelqu’un blasphème contre l’Esprit Saint, il n’aura jamais de pardon. Il est coupable d’un péché pour toujours. »

Quel est donc ce péché impardonnable ?… Jésus ne cesse de déclarer : le Père aime tous les hommes, il veut le salut de tous. Comment dès lors ne pas s’interroger quand il soutient avec une égale fermeté que celui qui pèche contre l’Esprit est coupable de péché pour toujours. A jamais condamné ! A jamais voué à l’enfer ! Comment, lui qui demande de pardonner 70 fois 7 fois, peut-il formuler une telle exception ? Que penser de Dieu si lui-même met une telle restriction à son absolu d’amour ? Oui, quel est donc ce péché impardonnable ?

Pour comprendre les propos de Jésus il faut garder en mémoire qu’il prononce cette phrase alors qu’il est l’objet d’un soupçon de la part des scribes venus de Jérusalem. Ils ne cessent de chercher à la prendre à défaut dans sa pratique de la Loi, dans ses miracles, et particulièrement dans son combat contre les démons intérieurs au cœur de l’homme. « Il est possédé par Béelzéboul, disent-ils ; c’est par le chef des démons qu’il expulse les démons. »  

   Voilà donc le péché que Jésus dénonce chez les scribes, et qui est pour lui, le pire des blasphèmes contre l’Esprit de Dieu. Il fait le bien, guérit et libère, il relève, il fait revivre et redonne confiance, et on le soupçonne d’exercer un pouvoir démoniaque, d’être l’ami du prince des ténèbres, l’esprit du mal.

Ce soupçon vous savez, c’est le même que celui dont parle la Genèse, dans la première lecture. Le serpent avait tenté Eve et son époux, éveillant en eux un soupçon par rapport à la bonté absolue du Dieu créateur. Ici, le mal apparait dans toute se perversité : il renverse l’ordre des valeurs et fait passer le bien pour un mal et le mal pour un bien. C’est le mensonge. C’est l’œuvre de l’Adversaire de l’humanité. Adhérer à cette perversion des valeurs est dramatique : cela conduit à attribuer à Dieu une intention mauvaise. C’est « le blasphème contre l’Esprit » dont parle Jésus.

Le péché impardonnable consiste donc à refuser de croire que Dieu n’est que bonté, grâce et miséricorde. Et ce faisant, on s’exclut soi-même de la logique de la bonté et du pardon. Quand, ici dans l’évangile, les scribes accusent Jésus d’être membre de la famille des démons, ils oublient son tout premier miracle dans la synagogue de Capharnaüm, souvenez-vous, quand un homme tourmenté par un esprit impur s’était mis à crier : « Que nous veux-tu, Jésus de Nazareth ? Es-tu venu pour nous perdre ? Je sais qui tu es : tu es la Saint de Dieu » (Mc 1,24). Comme quoi les personnes libérées des esprits mauvais s’avèrent plus clairvoyantes au sujet de Jésus que ces scribes, plein d’eux-mêmes !

Bon, vous mesurez combien cet évangile nous éclaire dans le combat spirituel que nous menons pour devenir « maîtres » de nous-mêmes, pour nous libérer de nos démons intérieurs. Jésus dit : « Nul ne peut pénétrer dans la maison d’un homme fort et piller ses affaires, s’il ne l’a d’abord ligoté. Alors seulement il pillera sa maison. » Oui, pour que Dieu soit le maître en nous et que sa volonté nous guide, il faut ligoter ce qui peut nous paralyser et nous empêcher de nous laisser conduire par son Esprit.

Cette parabole de Jésus nous donne de contempler le combat qu’il mène contre le mal pour nous en délivrer. Et nous pouvons nous rendre compte que notre propre combat spirituel est situé dans le sien. Comme Jésus est vainqueur des puissances du mal, déjà nous sommes vainqueurs. « C’est pourquoi, écrit Paul aux corinthiens, nous ne perdons pas courage, et même si en nous l’homme extérieur va vers sa ruine, l’homme intérieur se renouvelle de jour en jour. Car notre détresse du moment présent est légère par rapport au poids vraiment incomparable de gloire éternelle qu’elle produit en nous. »

   Voilà de bien belles paroles d’espérance qui nous font chaud au cœur alors que la puissance du mal est toujours-là, tapie, à l’œuvre aujourd’hui, autour de nous et en nous, prête à nous déshumaniser. Aussi ne perdons pas courage, notre regard ne doit pas s’attacher à ce qui se voit mais à ce qui ne se voit pas. Ce qui se voit est provisoire mais ce qui ne se voit pas est éternel. Nous qui participons à cette Eucharistie, nous célébrons dans la joie la victoire du Christ contre le mal. Il est le nouvel Adam, il nous réconcilie avec le Père. Ne péchons donc pas contre l’Esprit !

Alors Seigneur, puisque ce dimanche, cette scène d’Evangile se situe « dans la maison » qui symbolise chez St Marc, le lieu par excellence de la vraie famille de Jésus, la communauté chrétienne, l’Eglise où ton Fils Jésus enseigne ses disciples, nous te prions :

« Seigneur notre Dieu, tu sais combien nous sommes aux prises avec le mal. Tu nous as envoyé ton Fils Jésus pour partager notre condition humaine et nous réconcilier avec toi par sa victoire sur les forces de l’Adversaire de l’humanité. Renouvelle en nous le don de ton Esprit de force et de sagesse. Répands ton amour en nos cœurs et que ta force intérieure repousse l’adversaire au loin. Rends nous clairvoyants et patients afin que nous portions les fardeaux des uns des autres et que jamais nous ne désespérions de ton infinie miséricorde. »