A force d’entendre les paroles de la consécration (« Prenez, ceci est mon corps… ceci est mon sang répandu pour la multitude »), il se peut que nous ne leur trouvions plus la moindre saveur. Peut-être même ne réalisons-nous plus vraiment ce qui se passe. Qui peut d’ailleurs réaliser la portée de ce mémorial qu’est la messe ? La liturgie de ce dimanche est là pour nous le rappeler. Après la célébration (toujours un peu abstraite, non ?) de la Trinité, c’est le moment de fêter le Sacrement du Corps et du Sang du Christ. Certes, l’aspersion rituelle du sang d’une victime ne fait pas vraiment partie de notre culture – à part peut-être pour les amateurs de la série télévisée Urgences ou, parait-il, de Dexter.
Nous pouvons être choqués par l’idée qu’il faille payer le prix du sang pour obtenir une libération. Le même Dieu qui nous dit : « Choisi la vie ! » peut-il en même temps exiger un sacrifice sanglant ? Dans notre mémoire, le sang répandu a plutôt un goût de vengeance sur un ennemi indésirable : « Qu’un sang impur abreuve nos sillons ! » Au contraire, nous dit St Paul, « poussé par l’Esprit éternel, Jésus s’est offert lui-même à Dieu comme une victime sans tache ; et son sang purifiera notre conscience des actes qui mènent à la mort pour que nous puissions célébrer le culte du Dieu vivant ». Il fallait, et il faut encore aujourd’hui, que la vie de Jésus, la vie du Fils du Dieu vivant, soit librement donnée pour arracher nos vies à la puissance des ténèbres.
Chacun sait aujourd’hui combien est douloureuse, et même source d’incompréhension, la situation de ceux et de celles qui, comme on dit pudiquement, ne sont pas admis à la table eucharistique. En donnant sa vie en rançon pour la multitude, le Christ ne les oublie pas. A chacun, selon son état de vie, de chercher de toutes ses forces comment entrer dans cette « libération définitive » que le Christ a « obtenue pour nous en répandant son propre sang ». Inépuisable est la vie du Christ donnée en rançon pour la multitude.
Alors heureux, bienheureux les invités au repas du Seigneur. A chaque fois que nous nous levons pour aller communier, nous traversons le désert de nos infidélités pour marcher vers la Terre Promise de notre Résurrection. C’est la fête avec Dieu, c’est la fête Dieu !
P.ROLLIN+
Recteur de la cathédrale Saint-Jean Baptiste