Dimanche 5TOA Evangile Matthieu 5, 13-16 Homélie
« Vous êtes le sel de la terre, vous êtes la lumière du monde ». Dites-moi, vous n’avez pas les chevilles qui enflent ? Oui, le sel de la terre c’est vous, la lumière du monde, c’est vous, c’est moi, c’est tout disciple du Christ, – et l’on est encore tout interloqué- Le disciple du Christ-Jésus est- doit être- le sel de la terre, la lumière du monde. Oui, rien que ça !
Mais n’y aurait-il pas aujourd’hui comme une arrogance de notre part, à nous prendre nous les chrétiens pour « le sel de la terre » et « la lumière du monde » ? Les dernières affaires dévoilées cette semaine en lien avec les scandales qui secouent l’Eglise nous rappellent que nous ne sommes pas irréprochables, loin s’en faut. Alors les paroles du Christ sont- elles périmées ?
Le père Patrick ROLLIN
Chanoine et recteur de la Cathédrale Saint-Jean Baptiste
Nous pouvons d’autant plus nous interroger car Jésus ne parle pas au futur mais au présent. « Vous êtes… » Il ne formule pas un souhait, comme s’il déclarait ce que nous devrions être, ce que nous pourrions être, comme s’il fallait travailler à le devenir ou tâcher de l’être davantage… Non, Jésus nous dit ce que nous sommes aujourd’hui, dès aujourd’hui : « Vous êtes le sel de la terre, vous êtes la lumière du monde ! «
Comment l’entendre ? Evidemment pas comme un marqueur de supériorité, ni une prérogative car les premiers auxquels Jésus s’adressait n’étaient pas un public choisi, trié sur le volet parmi ceux qui se considéraient eux-mêmes comme des élites sociales, intellectuelles ou spirituelles. Ses paroles n’étaient pas et ne sont pas destinées à flatter l’orgueil de ceux qui les entendent. Elles n’étaient pas et ne sont pas non plus destinées à remonter à bloc des troupes fanatisées pour les lancer à la conquête du contrôle du monde. Quelle horrible prétention, comme s’il s’agissait de nous prendre pour les meilleurs, les plus savoureux dans la masse des non salés, des insipides.
Ces paroles de Jésus ne nous mettent pas à part, au-dessus ou je ne sais où du commun des mortels. Elles nous rappellent que nous sommes responsables d’abord d’une sorte d’Alliance entre ce qui est sel et ce qui ne l’est pas. Un monde sans sel n’a point de saveur, mais un sel en dehors du monde, c’est une salière inutile. Le chrétien et le monde ont partie liée. Ils sont faits pour se mélanger. D’ailleurs le premier à en profiter est le chrétien lui-même, car il lui faut saler en lui tout ce qui n’est pas chrétien.
Bref, ces métaphores du sel et de la lumière, il faut les entendre comme encouragement à devenir ce que nous sommes et comme une urgence ! Le monde, notre monde va mal, il a besoin de bon sel pour que les hommes n’en perdent pas le goût et de la lumière pour qu’ils n’en oublient pas le sens. C’est votre vocation, notre mission. Saler le monde, lui donner du goût et l’éclairer par nos manières de vivre et d’aimer, par notre présence.
Mais voilà, parfois les chrétiens inspirent du dégoût. Cela se produit, le plus souvent, quand ils s’éloignent de l’Evangile. Il leur revient de vivre de telle sorte qu’ils donnent envie à certains, et peut-être même à beaucoup, d’aller voir de ce côté-là pour sortir d’une existence fade, sans relief et sans joie. Dans un monde en quête de sensations toujours plus fortes, les chrétiens n’ont pas à rajouter du piment, à proposer pour se faire admettre des aliments extraordinaires. Nous remplirons notre mission si nous améliorons l’ordinaire, si nous contribuons à donner sens aux simples choses de la vie. Et nous savons que ce n’est pas si facile, quand même les sentiments les plus beaux, les conduites les plus admirables, les pensées les plus sublimes peuvent se dénaturer. Il reste beaucoup à faire pour que chaque être humain ne soit pas privé de la saveur du quotidien. Et cette tâche, toujours à reprendre, est plus urgente que jamais !
Que serait en effet le monde sans le sel et la lumière de l’Evangile ? En déclarant « Vous êtes le sel de la terre et la lumière du monde », Jésus nous encourage à l’être : tenez-bon, salez et éclairez, n’ayez pas peur ! … Mais attention tout de même, car depuis des années l’Organisation Mondiale de la Santé tire la sonnette d’alarme : Ne consommons pas trop de sel ! Un excès de sel peut dénaturer le goût des aliments, une lumière écrasante et violente peut aveugler. Alors attention au bon dosage ! Le sel une petite quantité suffit pour de grands effets… Oui, quelle espérance !
Et puis l’autre responsabilité qui nous est confiée, c’est de ne pas affadir. Oh ! ne croyez pas pour cela qu’il faille fuir le monde. Certes, on risque de s’y dissoudre purement et simplement. Mais le sel immobile et entassé risque aussi de se décomposer. Alors, et si entre humains, entre chrétiens, on essayait de maintenir le goût, la saveur… pour notre monde ? Impossible de ne compter que sur soi. Il faut pouvoir dire, comme cela arrive à table entre époux, entre parents et enfants, entre amis : Passe-moi le sel ! Si jamais l’Evangile en vous s’affadit, qu’il y ait toujours un frère, une sœur à qui vous puissiez dire en toute confiance : « Passe-moi le sel ! Le sel que tu es pour moi ! »
Enfin, Jésus compare aussi notre foi à une lumière à placer sur le lampadaire. Il y a tant de chrétiens qui ont un visage d’éteignoirs ! On peine à voir la flamme qui les anime ! Pourquoi garder notre foi enfouie dans le tréfonds de notre cœur, alors qu’elle devrait rayonner à l’extérieur ? Le rayonnement n’est pas seulement une qualité de déchet radioactif, ça devait être la marque de fabrique des chrétiens, qui fournissent au monde l’énergie dont il a besoin. St Thomas d’Aquin le dit : « il est meilleur d’éclairer que de briller seulement. » Un chrétien qui vit de la grâce à l’intérieur, ça doit se voir à l’extérieur. Avoir une tête d’ampoule n’est peut-être pas un objectif très enviable, mais éclairer les autres en faisant resplendir autour de nous la lumière du Christ, c’est notre mission. Mais l’inconvénient d’un lampadaire, c’est que les chiens viennent uriner dessus. Témoigner de sa foi, c’est vrai, expose au mépris et aux quolibets. Peu importe, le feu de l’Esprit est plus fort que tout ! Notre mission est de réchauffer les cœurs et d’éclairer les consciences. Alors la nuit sera moins pénible pour les autres. Et nous serons des saints.
Et c’est précisément ce à quoi Jésus nous invitait déjà dimanche dernier, à la pauvreté du cœur. Le sel remplit sa fonction lorsqu’il fond dans les aliments. Nous conduisons nos frères au bonheur lorsque nous laissons la lumière du Christ briller à la place de nos pauvres lumières, si souvent mêlées de forces ténébreuses. C’est dans la faiblesse, « craintif et tout tremblant » que Paul s’est présenté aux Corinthiens pour leur annoncer Jésus le Christ, le Messie crucifié.
Une question, dès lors, se pose à nous qui sommes appelés aujourd’hui à être les disciples du Messie crucifié. Que voulons-nous faire connaître au monde : nous-mêmes et nos certitudes ou la Bonne Nouvelle du Fils mis en croix ? Et surtout, la manière dont nous nous exprimons est-elle au diapason de la manière dont nous vivons ? Impossible d’être sel, impossible d’être lumière si nous ne sommes pas habités par l’humilité de Dieu. Sa Parole ne contraint jamais personne, sa toute puissance s’exerce toujours dans l’abaissement.
Souvent j’admire ces multitudes de petites lumières qui s’allument lors des concerts de chanteurs, et comme je voudrais être, moi aussi, une petite lumière dans les ténèbres de ce monde, une petite lumière qui efface la nuit et annonce l’aurore.
Et bien demandons au Seigneur dans cette Eucharistie, surtout de ne jamais vouloir briller pour nous-mêmes, notre propre gloriole. Mais chaque jour, surtout quand il fait sombre, qu’il accorde à notre petite lumière de chanter à pleine voix, son Nom et sa splendeur, lui la lumière des cœurs droits.