Dimanche 26 Novembre 2023. Solennité Christ Roi de l’Univers. Année A

Évangile Matthieu 25, 31-46. Homélie

Mes amis, cette scène du Jugement dernier où le Fils de l’Homme séparera les élus des damnés comme des brebis des chèvres est probablement l’une des histoires les plus connues des évangiles. Et l’immense peinture de la chapelle Sixtine réalisée par Michel-Ange n’y est sans doute pas pour rien. Il y a dans cette fresque des éléments qui frappent l’imagination : un « roi-juge » au centre, le Fils de l’Homme placé sur son trône de gloire dans la posture de Juge « de toutes les nations », de toute l’humanité, les vivants comme les morts.

Matthieu est le seul évangéliste à mettre en scène cet épisode grandiose et apocalyptique qui évoque le jugement de l’humanité à la fin des temps quand le Fils de l’Homme viendra dans sa gloire. Un jugement considéré comme dernier, ce qui ne veut pas dire seulement final mais aussi décisif, et considéré comme un critère de dernière instance.

Le jugement… voilà forcément un mot qui fait peur. On songe aux anges à la pesée, qui, de vitraux en frontons de cathédrale, soupèsent les âmes à leur poids de péchés. Sauvé, damné. Ne se prononce pas, du moins pas encore, on verra après le purgatoire. Et Jésus lui-même n’y va pas par quatre chemins. Cette grande scène d’évangile de Matthieu montre bien le partage entre ceux qui ont accordé un verre d’eau à un petit, visité un malade, et ceux qui sont passés sans les voir. Il n’y a pas de doute, il y aura bien un jugement.

Il semble pourtant que l’objectif de Dieu ne soit pas de juger mais de sauver. Comment donc concilier ces images de jugement qui abondent dans l’Evangile, et la promesse du Salut, promesse adressée tous azimuts, en particulier à ceux qu’on nomme volontiers « réprouvés », filles de rien et hommes de peu ?

D’abord regardons du côté de la peur. Dans une des paraboles de ces derniers dimanches, l’Evangile nous rapportait le cas du serviteur qui avait enfoui son talent sans le faire fructifier. Que se passait-il ?  Eh bien, c’est ce serviteur paresseux qui jugeait le maître : « Seigneur, disait-il, j’ai appris à te connaître pour un homme âpre au gain : tu moissonnes où tu n’as point semé, et tu ramasses où tu n’as rien répandu. Aussi pris de peur, je suis allé enfouir ton talent dans la terre. Le voici, tu as ton bien » (Mt 25, 24-25). Ce serviteur voulait être « quitte ». Fin des relations avec ce maître ! Et dans la parabole des ouvriers de la dernière heure, on voyait de nouveau des ouvriers juger la générosité du maître. Et au jaloux, le maître répondait : « Faut-il que tu sois jaloux parce que je suis bon ? » (Mt 20,15)

Alors, est-ce qu’il y aura un jugement ? Sans hésitation, je réponds oui, parce que Dieu ne nous prend pas pour des enfants irresponsables, et nous aurons à répondre de notre vie. La grande question est plutôt quel droit de regard accorderons-nous à Dieu ? Craindrons-nous le regard de Dieu, ou serons-nous capables de nous y exposer, de dire comme le psalmiste : « Sonde-moi, ô Dieu, connais mon cœur, scrute-moi, connais mon souci ; vois que mon chemin ne soit pas fatal, conduis-moi sur le chemin d’éternité » (Ps 139, 23-24).

La vérité c’est que la justice de Dieu ne nous juge pas, elle nous justifie, elle fait triompher le bien sur le mal, jusque dans notre propre cœur, mais pas sans notre consentement. Et si nous devons nous tenir à l’issue de notre chemin sur cette terre, sous le regard de Dieu, pour qu’en nous, le mal soit définitivement détruit et le bien exalté, l’Evangile nous recommande d’y consentir chaque jour et dès aujourd’hui. Alors en cette matière, mieux vaut, me semble-t-il un peu d’entraînement.

Et bien cette parabole du jugement dernier, bien connue, trop connue au risque de ne plus entendre ce qu’elle dit, essayons de la relire comme si c’était la première fois. Plus jamais, nous ne pourrons dire que nous ne savons pas où est Jésus. Il est dans le ventre de l’affamé, dans l’étrangeté de l’étranger, dans la nudité du nu, dans l’isolement du prisonnier. Chaque fois que nous nous nous rapprochons des petits, nous sommes sûrs de ne pas rater le Christ.

Nous pouvons aussi accueillir cette parabole en nous et entendre que le Christ vient habiter notre faim et notre soif, notre pauvreté et notre solitude car ce n’est pas dans les sommets de notre histoire publique qu’il vient se nicher mais dans le creux de notre intimité. Il nous invite une fois encore à entendre sa parole qui dit : « heureux les pauvres de cœur ». Ceux qui ont ignoré les affamés et les assoiffés, les étrangers et les isolés sont destinés au feu éternel. Dans la Bible, le feu est le lieu de la purification, il brûle les détritus. Une vie qui n’est pas compatissante avec les petits est une vie inutile qui mérite d’être brûlée.

Bon, comme souvent dans les paraboles qui reposent sur l’opposition entre deux attitudes, nous sommes les deux. Il nous est arrivé d’être compatissant avec les petits et il nous est arrivé de ne pas les voir. Nous sommes maudits et nous sommes bénis, nous héritons du Royaume et nous méritons le feu éternel. Que Dieu brûle donc en nous tout ce qui n’est pas donné et que par sa grâce, il nous donne de vivre un petit bout de ce Royaume où ce sont les petits qui sont les vrais grands.

Oui Seigneur pour évoquer ta venue dans la gloire tu ne décris pas une venue spectaculaire, destinée à impressionner les foules. Au lieu de nous parler de toi, tu nous parles de nous. Surtout, tu nous parles de l’attention que nous aurons portée aux plus petits, aux blessés de la vie, ceux que la société aime tant mettre sur la touche et qui attendent de nous un peu d’attention, un peu de temps, un peu d’amour. Par-dessus-tout, tu voudras savoir si notre cœur a aimé. Nous t’en prions, fais-nous prendre conscience que, chaque jour, nous engageons notre éternité. Eternité qui ne se situe pas à l’extrémité du temps mais au bout de nos choix et de nos engagements. Et quelle ne sera pas notre surprise de découvrir que ta venue finale sera la lumineuse réalité qui éclaire nos décisions présentes et donne à tous nos actes leur vraie signification, leur densité, leur vérité, leur poids d’éternité. Oui, bénis sois tu Seigneur, toi le Roi de l’Univers !

 

Homélie du P. Patrick Rollin