Homélie du dimanche 4 juin – Sainte Trinité

            Une semaine après le don de l’Esprit à la Pentecôte, nous fêtons aujourd’hui la Trinité. La Trinité, est-ce un article un peu abstrait du credo, une équation dogmatique pour initié, un raisonnement subtil, du coup facultatif, réservé aux théologiens avertis ? On est tenté de passer vite ! Vivement le temps ordinaire, et des épisodes d’évangile un peu plus narratifs, à hauteur d’homme ! En vérité, F et S, ne zappons pas devant la difficulté, car Dieu n’a peut-être rien à nous dire d’autre, de plus urgent, de plus intime, de plus essentiel que la Trinité ! Il n’a peut-être pas de plus grand désir que de nous laisser approcher de ce qui est son identité même, son profond mystère, cette mystérieuse plénitude de la vie divine qui unit les trois Personnes en un seul Dieu. Parler de la Trinité n’est pourtant pas une chose bien facile. « Ne prêchez pas à votre peuple sur des choses difficiles et qui ne lui seraient que de peu d’utilité, tel le mystère de le sainte Trinité » conseillait Saint François de Sales à un jeune évêque, ajoutant que la Trinité, il vaut mieux la contempler qu’en parler. Mais parler un peu (essayer du moins), c’est commencer de contempler. C’est vrai qu’on éprouve une difficulté à bien entrer dans ce grand mystère, précisément parce que c’est le mystère des mystères. Faisons le point. Grosso modo, chacune des trois personnes prises séparément, on voit ! Le Père, on voit à peu près, il faut bien que Dieu soit, a minima, revêtu d’une autorité. Le fils, encore mieux : étant entré dans notre monde, il porte un nom d’homme, il est d’emblée dans notre champ de vision et nous est assez proche pour que la relation avec lui soit presque naturelle. Quant à l’Esprit Saint, malgré le déploiement imagé des colombes ici et des langues de feu là pour le figurer un peu…on ne voit pas toujours aussi bien ! Mais depuis quelques décennies, dans la catéchèse et la prédication de l’Église, un peu plus « pentecôtiste », on a progressé ! On le comprend mieux : l’Esprit Saint, un peu comme le désir, invisible sinon dans ses fruits, qui circule entre le Père et le Fils et déborde jusqu’à nous. Et à l’heure des ondes, du bluetooth et des fréquences hertziennes, en faisant un petit effort, on conçoit que la grâce divine, qui n’a pas vocation à se cantonner au Ciel, puisse se diffuser de par le monde sur un mode invisible de « connexion wifi » ou de télé-diffusion divine. L’Esprit Saint, c’est un peu l’informaticien du trio, celui qui est chargé des connexions ! Mais quant à la relation intime des trois-là, le lien d’amour et d’identité profonde qui unit le Père, le Fils et l’Esprit Saint, ce que ce mystère trinitaire a à nous dire du cœur même de Dieu, de ce qui est sans doute la source la plus bouleversante de notre foi, le centre le plus secret de la divinité qu’une vie chrétienne a pour vocation d’approcher, on est assez vite tenté de réserver cela aux spécialistes. Sans doute ne faut-il pas se décourager ! Jésus lui même, qui sait pourtant les limites de notre humanité, brûle de nous dire tout ce qu’il peut, de nous partager tout ce qu’il a dans le cœur :  J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais pour l’instant vous ne pouvez pas les porter… Comme elle est émouvante, cette impatience du Christ, teintée de miséricorde, à nous révéler l’essentiel. Oui, je voudrais vous dire qui je suis, qui est le Père, qui est l’Esprit. Ce qui nous lie, ce qui se joue entre nous, vous montrer, pour vous la donner, inimaginable pour vous, la source de l’amour et de la vie. Oui, comme je voudrais vous y introduire, j’ai hâte ! Mais je dois laisser du temps au temps, je dois laisser grandir votre liberté, votre foi, votre capacité d’accueil. Frères et sœurs, ne renonçons donc pas trop vite à entrer dans le mystère si grand de la Trinité, et pourtant, en vérité, si simple. C’est la Trinité qui nous a accueilli ce matin. Par la salutation du prêtre célébrant, c’est toujours « la grâce de Jésus Christ notre Seigneur, l’amour de Dieu le Père et la communion du Saint Esprit » qui fait porche à notre prière dominicale. Et c’est bien vers la Trinité que nous nous tournons à chaque signe de croix, au nom « du Père, du Fils et du Saint Esprit » ; puisse l’ « amen », qui termine ce petit voyage d’un bout à l’autre de nous-même, et vient donner notre accord, n’être pas qu’une simple formule, ressassée mécaniquement, mais une réponse pleine et généreuse à recevoir la confidence de Jésus, le trop plein du cœur du Christ : J’ai encore beaucoup de choses à vous dire. Amen Seigneur, je veux bien ouvrir l’oreille et le cœur pour les recevoir… Car Dieu pourrait-il être vraiment l’Amour s’il était solitaire ? La bonne nouvelle, frères et sœurs, c’est que Dieu est Un, mais qu’il a des visages ! En hébreu, (est-ce un hasard ?), le mot ordinaire pour désigner le visage est déjà un mot au pluriel (panim) ; belle intuition de la langue biblique pour saisir le mystère de tout visage d’homme, toujours essentiellement et mystérieusement au pluriel ; et belle intuition de la langue pour suggérer aussi, qu’à la source de tout visage et affleurant sur lui, mieux qu’une identité close, se dessine comme un reflet de cette Trinité divine, l’empreinte originelle de ce Dieu « multi-faces ». Une « interface » essentielle, qui toujours nous épargnera la frontalité accusatrice et terrible d’un « face à face » que tant d’hommes redoutent, en imaginant justement Dieu comme un juge ou un monarque solitaire et tout puissant, siégeant sur son trône et toujours prêt à la comparution des hommes. Oui, la Trinité est une fête bien utile pour nous insurger contre l’idée d’un tel huis-clos relationnel entre un Dieu, solitaire, juché dans son ciel comme on est dans son coin, et les hommes qui, d’en bas, oseraient à peine lui faire face et n’auraient qu’à se soumettre. Bien plus, en nous invitant à nous approcher de l’identité même de Dieu, la Trinité nous réserve une surprise, bien utile dans les temps de fanatisme qui sont les nôtres. Elle nous révèle qu’au cœur le plus profond de l’identité, comme au noyau nucléaire de Dieu, et du coup des hommes, on ne trouve pas de l’identité mais… de la relation !  Oui, la Trinité, c’est d’abord un milieu ambiant, c’est un lieu de vie, c’est de l’amour en acte, en fusion, sans confusion. Avec Dieu Trinité, on n’est ainsi jamais appelé à « venir la barre », mais à « entrer dans un écosystème ». Et dans l’écosystème même de l’amour ! Oui, la Trinité, à laquelle nous ne comprenons pas grand chose, il est vrai, est tout de même une merveille de la révélation du visage de Dieu, de son être profond, en ce qu’elle nous sauve à jamais du face à face accusateur, de la bi-frontalité angoissante : la trinité nous donne du tiers, elle donne à l’alliance de l’espace. Elle donne à l’amour du champ, contre le statisme, l’étroitesse, la possessivité ou le réflexe identitaire qui reprennent vite nos vies, nos représentations divines ou nos propres histoires d’amour. Car, en amour, Dieu Trinité, lui, est au large, et c’est la Trinité qui nous met au large. Ainsi, Dieu ne passe-t-il pas son temps embusqué dans un mirador céleste d’où il nous surveille… Il nous appelle à l’échange, constitutif de son être même. Mais en attendant, que faisons nous, chacun, de notre baptême trinitaire, qui a inoculé en nous le germe de la relation bien plus profond que celui de l’identité ?

      Frères et sœurs, la joie commence lorsque les yeux fermés et les lèvres closes nous nous apercevons –enfin- « du Père, du Fils et du Saint Esprit ». La joie commence quand nous réussissons, avec la maladresse mais la ferveur d’un enfant qui s’essaie à tracer des lettres, à bien épeler ces trois consonnes du vrai nom de Dieu. Au nom « du Père, du fils et du Saint Esprit » ! Ne disons plus jamais mécaniquement ces mots, au creuset desquels vit le secret de Dieu, sa pulsation éternelle, comme si nous finissions par ne plus nous apercevoir de lui ! Au « nom du Père, du Fils et du Saint Esprit », une parole qui nous est un baptistère permanent, une source d’eau vive, depuis qu’au baptême, nous avons trouvé en elles notre vrai acte de naissance et le propre secret de notre être surnaturel ! J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais pour l’instant vous ne pouvez pas les porter…  Comment oublier Jésus ardent à nous introduire à ces mystères dont il a le cœur plein et qu’il veut nous donner, pour que nous en vivions. F et S, tout au long de notre vie, laissons-nous enseigner par l’Esprit Saint, pour tenter d’approcher ce mystère de la Trinité qui sera un jour la tente de notre éternité ! À la fin de cette liturgie, quand le prêtre nous bénira, précisément au nom de la sainte Trinité, nous reproduirons alors sur notre corps la croix de Jésus. Nous marquerons notre front au nom du Père, pour qu’il inspire nos pensées et nos décisions. Nous signerons nos épaules au nom du Fils, pour que la Croix victorieuse nous enveloppe du vêtement de la Vie. Nous nous signerons la poitrine au nom du Saint-Esprit, pour qu’il entraîne notre cœur à battre vraiment de l’amour de Dieu et des hommes. Avant l’envoi du diacre, nous aurons ainsi ré-ouvert les points cardinaux qui donnent à notre corps et à notre vie tout le champ nécessaire à l’amour, à sa circulation et à sa diffusion, dans nos vies comme dans le monde. Et quant, bien plus que de clore simplement notre célébration, l’amen final viendra alors sceller en nous l’acquiescement à ce grand déploiement trinitaire, puissions-nous continuer, de semaine en semaine et comme à tâtons, au fil de nos pauvres vies souvent indignes, croire que c’est là, à la splendide table trinitaire du royaume d’éternité, que Dieu nous attend, et qu’il a réservé à chacun de nous une place de choix ! Amen

Cathédrale Saint Jean. Fête de la Trinité. 4 juin 2023 Année A

Liubomyr PETSIUKH

Responsable communication

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