Homélie du dimanche 8 octobre

Frères et Sœurs, rien n’est plus cher à Dieu que sa vigne ! Est-il dans toute la bible une image aussi forte et aussi fréquente pour nous parler du monde, évoquer nos vies, chacune de nos vies que celle de la vigne ? Dieu a donc sa vigne, et nous autres, nous en sommes les ceps : il y a les vieux ceps, les jeunes ceps, les ceps qui donnent d’emblée du bon raisin, ceux qu’il faut greffer, tailler, émonder… Quel boulot qu’une vigne ! Quel cadeau qu’une vigne ! Car comment ne pas aimer sa vigne, et désirer son fruit ? Notre Dieu est un Dieu vigneron, tellement plus qu’un « Dieu-horloger », comme l’imaginait Voltaire ! Il n’a pas créé le monde, comme une imprimante 3D ferait un bel objet, extérieur à lui ! Du monde qu’il créé, ce Dieu-là en a fait une vigne. Une tout autre aventure, en vérité bien plus risquée ! Il lui a donc fallu en conséquence parier sur la récolte ! Il lui a fallu la confier à des vignerons ! Une vigne évidemment ne vaudra jamais que par sa vendange, et le bon vin qui en ruissellera ! Mais quoi de plus fragile, quoi de plus incertain ? Dieu n’est pas propriétaire d’un garage, frères et sœurs, mais d’une vigne !… Mesurons-nous bien la profondeur de cette image biblique ? Et entendrons-nous jamais assez, selon la belle expression de la première lecture, le chant du bien aimé à sa vigne ? De quel soin il l’entoure, avec quel amour il l’espère. Car Dieu est un passionné ! Pouvais-je faire pour ma vigne plus que je n’ai fait ? dit-il dans Isaïe. Pour sa vigne, il sera capable de tout ! Il a été capable de tout ! Même d’envoyer son fils unique, et de l’exposer au pire.

Quand Jésus s’adresse aux grands prêtres et aux anciens, qui connaissent leur Isaïe et leur psaume 80, il inscrit donc sa parabole de ce matin dans une grande tradition biblique et c’est à se demander si les auditeurs, si rôdés et habitués à cette image biblique tellement canonique, ont ce jour-là bien écouté. Les histoires de vigne, ils connaissent ça par cœur ! Les mauvais vignerons ? Un classique de la littérature biblique. Pourtant, à cet instant, ce que leur dit Jésus est incroyable : après les serviteurs, dégommés les uns après les autres, le propriétaire leur envoya son fils, son propre fils, au risque de sa vie !  Pouvaient-ils imaginer ce que Jésus leur disait là, leur révélait alors du visage de Dieu ? C’est vertigineux, quand on y pense, de voir ce que Jésus ajoute alors de nouveau à un scenario parabolique bien classique. Avec quelle intensité dans la voix, en leur racontant la parabole, leur a-t-il proposé de méditer sur l’ambassade du fils, et sa mise à mort si brutale. Car derrière le propriétaire-vigneron, il y a un père ! Un père qui, plus que gérer son bien, envoie son fils…  Comme une confidence que Jésus nous fait et qui ne disait pas alors son nom… On aurait aimé l’entendre dire ce mot si touchant, qui dit tant du cœur de Dieu : finalement, il leur envoya son filsFinalement ! Pour dire que Dieu va toujours au bout de l’amour… Pauvres Pharisiens !  Pouvaient-ils l’entendre ? Car pour eux, cette histoire quasi talmudique n’est guère qu’un petit cas d’école pour se frotter la cervelle et rivaliser de zèle légaliste : Les serviteurs, puis le fils ? Une simple surenchère narrative, pour mieux amener la chute : ce qu’ils aiment, eux ? Discuter, avant tout, évaluer la situation morale, et la question finale, qui les intéresse davantage, ne leur pose en soit pas de problème : quand le maître de la vigne viendra, que fera-t-il à ses vignerons ?  Eux de répondre, CQFD : ces misérables, il les fera périr misérablement, il louera la vigne à d’autres vignerons qui lui en remettront le produit en temps voulu. Réponse bien humaine, en vérité, logique, qui pourrait bien être la nôtre. Mais, (peut-être est-ce tout l’intérêt de cette parabole ?), ce n’est pas exactement la réponse divine.  Le règlement de compte, significativement, Jésus lui le diffère. Il les ramène d’abord aux Écritures : La destitution et l’expropriation, Jésus curieusement les décale en intercalant, l’avez-vous remarqué, une citation d’un verset du psaume 117. La pierre qu’on rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle. Il ne s’agit donc pas d’abord, réflexe bien humain, de régler illico leur compte aux mauvais vignerons, qui pourtant le méritaient bien ! C’est que les paraboles, le dit-on jamais assez, ne font pas la morale, elles parlent bien davantage de Dieu, de son mystère ! Quel est donc ce Dieu qui ne règle pas d’abord son compte aux méchants, mais qui… recycle. Oui, Dieu est le champion du recyclage ! Bien avant le développement durable, il nous révèle de lui à quel point, depuis la nuit des temps, lui sait retraiter les déchets en s’arrangeant des loupés de l’aventure humaine pour en faire du nouveau : La pierre qu’on rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle. Un très ancien précepte divin, déjà très éco-responsable ! Frères et sœurs, Dieu nous donne là son ADN, son secret même : il a le recyclage au cœur : c’est là l’œuvre du Seigneur, la merveille devant nos yeux. Oui, frères et sœurs, c’est une merveille de comprendre combien Dieu recrée, reprend, qu’il ne nous règle pas d’abord notre compte (réflexe pharisien !), mais inlassablement recycle. De nos misères, de notre péché même, il fait de la matière première pour le Royaume ! Les bâtisseurs que nous sommes peuvent bien gaspiller, rejeter des pierres, il en fera des pierres d’angle pour d’incroyables temples. Dans cette parabole si connue des vignerons homicides, ce petit verset du psaume 117 qui vient s’intercaler entre la question et la réponse est l’autre confidence que Jésus nous fait ce matin du cœur de Dieu !  Une parabole qu’on n’écoute pas avec assez d’attention et dont hélas on fait souvent la parabole de la condamnation d’Israël et son remplacement par l’Église. De fait, un antijudaïsme regrettable a longtemps laissé croire que l’Église remplaçait le peuple juif. C’est ce qu’on appelle la « théologie de la substitution ». Depuis la mort de Jésus, le peuple juif aurait fait son temps ; il pourrait disparaître, puisque le nouveau peuple de Dieu, ce sont désormais les chrétiens. C’est manquer le cœur profond de Dieu et son mystère. Quels que soient les assauts de l’Histoire contre lui, même les plus effroyables, le peuple juif demeure, enveloppé d’une mystérieuse bénédiction divine. C’est que les dons de Dieu sont sans repentance. Saint Paul l’affirmait déjà haut et clair : l’alliance de Dieu avec Israël perdure, car Dieu est toujours fidèle à ses promesses. (Rom 9, 3-4). La nouvelle alliance ne supprime pas la première alliance, et l’Église ne remplace pas le peuple juif, pas plus qu’un second fils ne remplace un premier. Non, prenons-y garde : le parabole des vignerons homicides ne dit pas cela, elle dit tellement plus qu’une simple stratégie divine et historique de remplacement ! Chrétien ou juif, il s’agit d’abord pour nous tous d’être à la hauteur de l’amour incroyable de Dieu pour sa vigne, et de porter du fruit. Ces vignerons qui n’ont eu de respect ni pour le propriétaire, ni pour ses émissaires fils compris, ni pour la vigne elle-même, ces hommes qui n’ont d’intérêt finalement que pour eux-mêmes, on les connaît. Ils sont hélas de tous les peuples et de tous les calendriers. Ils sont partout, y compris en nous. Les chrétiens n’ont pas à se croire meilleurs que les juifs. Car le salut ne sera jamais un droit ni un acquis mais une grâce à recevoir, autant qu’une tâche à accomplir. La parabole des vignerons homicides nous parle d’abord du cœur profond de Dieu, et pas d’un groupe plus qualifié qu’un autre, ou mieux béni qu’un autre. Car Dieu ne fractionne pas ses bénédictions, ni ne les reprend.

   Oui, cette célèbre parabole nous parle d’abord de Dieu, de la bouleversante profondeur de son finalement ! Finalement, il leur envoya son fils. Finalement, la pierre rejetée est devenue pierre d’angle. C’est le mot essentiel du passage ! Oui, c’est dans ce finalement là que se révèle ce matin l’incroyable espérance de Dieu sur sa vigne, et son incroyable capacité à croire en chacun de nous. Finalement, Dieu ne lâche pas, ne lâche rien ! Les pharisiens aimaient bien avoir le dernier mot ! Mais finalement, finalement, c’est Dieu qui a toujours le dernier mot, et croyons-le, ce mot ultime, c’est moins un mot de reproche qu’un indéfectible mot d’amour. Amen

Cathédrale Saint Jean Dimanche 8 octobre 2023 Année A 27è ord. (Mt, 21, 33-43)

Liubomyr PETSIUKH

Responsable communication

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