5° dimanche Carême B. Evangile Jean 12, 20-33. Homélie

« Nous voudrions voir Jésus. » Mais qui pose cette question ? Et pourquoi cette question ? Tout de même Jésus ne se cache pas. Et pourtant, c’est vrai, ces « Grecs », des païens sympathisants du judaïsme, veulent voir Jésus.

« Nous voudrions voir Jésus ? » Mais qu’y a-t-il derrière cette demande ? Une simple curiosité ? Non, ces « grecs » ne veulent pas simplement « voir » Jésus, ils veulent « croire » en lui.

« Nous voudrions voir Jésus ? » Nous ne pouvons qu’être émerveillés par cette demande qui est aujourd’hui aussi celle des catéchumènes qui seront baptisés lors de la veillée pascale. Eux aussi, ne veulent pas seulement « voir » Jésus mais « croire » en Lui.

« Voir », « croire » Il y a un art de voir qui ne relève pas d’abord du bon fonctionnement des yeux mais qui relève de notre âme. Il y a une faculté de sentir les choses qui ne relève pas d’abord de nos sens mais d’une perception intérieure, d’une disposition du cœur. On ne voit bien qu’avec le cœur, l’essentiel est invisible aux yeux. Ainsi est-il avec le mystère de Dieu qui s’offre à nous sans qu’il soit nécessaire de « voir » avec nos yeux de chair mais de « croire » avec les yeux du cœur.

« Nous voudrions voir Jésus ? » Dans l’évangile de Jean il y a en effet un « voir » qui ne relève pas de l’ordre du visible, mais un « voir » qui voit au- delà du visible, qui contemple l’invisible et qui conduit au « croire », à la foi. Nous le retrouverons au matin de Pâques : « Il vit et il crut » nous sera-t-il dit du disciple bien aimé à la vue du tombeau vide.

« Nous voudrions voir Jésus ? » Cette demande n’évoque pas une simple ou vaine curiosité. Ces « grecs » ne veulent pas seulement « voir », ils veulent « croire » en Jésus. Et pour cela, ils s’adressent à l’apôtre Philippe, originaire de Bethsaïde, ville frontière où l’on devait parler le grec. Philippe va trouver André pour se faire tous deux l’écho de la fraîcheur et de la simplicité de cette demande qui, dans sa sobriété, n’en exprime que mieux le désir.

« Nous voudrions voir Jésus » Mais tout de même, ceux qui font ici cette demande à Philippe ne sont pourtant pas aveugles. Ces « grecs » ils jouissent même de la lumière de la raison. Ils viennent du pays de la mesure. Ils sont enfants de Socrate et de la plus haute sagesse qu’ait produit l’humanité. Mais Dieu sait pourquoi, ils ont faussé compagnie à Ulysse pour emboiter le pas à la descendance d’Abraham. Leur sympathie pour le judaïsme, qui fait qu’on les surnomme les craignant Dieu, dévoile peut-être la blessure d’un désir qu’aucune philosophie ne saurait combler, de la quête d’une Révélation plus haute que toutes les certitudes de la raison.

En fait, ils nous sont familiers ces hommes qui étaient montés jadis à Jérusalem pour adorer Dieu, car nous aussi aujourd’hui, nous sommes en pèlerinage, en transit quelque part entre Athènes et Jérusalem, entre la volonté de savoir et la gratuité de l’amour, entre le souci de soi et le souci des autres, du Tout Autre. La sagesse des modernes, nous a en effet appris à expliquer le monde, à maîtriser la vie, à transformer l’histoire mais sans que pour autant soit vaincu en nous le désir qui taraude notre cœur. Hommes et femmes du 21°siècle nous comptons certes sur les ressources de la raison, mais sans avoir réussi pour autant à faire taire tous les pourquoi que l’existence est incapable d’expliquer. Nous avons faim et soif de sens, d’amour et de beaucoup plus d’amour que le monde ne peut nous en donner. Et notre cœur est sans repos tant qu’il ne repose pas en Dieu. Oui, comme ces « grecs », nous aussi,  « nous voudrions voir Jésus », lui qui donne visage à l’Invisible, Parole à l’inouï.

Mais ce désir de voir Jésus sera-t-il exaucé ? En fait ces « grecs » ne verront pas Jésus, sauf quand il aura été « glorifié » et « élevé » c’est-à-dire quand il aura connu la mort et la résurrection et qu’il attirera à lui tous les hommes, Juifs et païens. Mais pour l’heure, à ces « grecs » impatients de le voir, Jésus laisse entendre que leur venue à la foi ne sera possible qu’après Pâques. Pour l’heure, pressé par l’heure qui vient, l’heure de sa Passion, Jésus ne donne à voir rien d’autre qu’un homme aux prises avec la mort. « L’heure est venue où le Fils de l’Homme doit être glorifié. »

 « L’heure est venue », cette heure, tout l’évangile nous y a préparés. Elle vient et voici, elle est là… C’est l’heure de l’élévation du Fils bien-aimé sur la croix d’infamie, entre deux brigands. L’heure de la glorification. Oui, le grain de blé doit mourir pour porter du fruit. Jésus fait de cette exigence la loi même de la vie. Pour vivre, il faut accepter de mourir à soi-même, mourir à la peur pour naître à la vie, mourir aux certitudes pour naître à la foi. Tel est l’itinéraire qui nous est proposé,     l’itinéraire pascal pour contempler Jésus, le Fils, mystère d’une vie totalement livrée, donnée par amour. Donnée à Dieu. Donnée aux hommes. C’est à la grâce, à la plénitude d’une telle vie que nous sommes conviés.

Voir Jésus, c’est donc d’abord et avant tout vouloir le suivre. Et pour le suivre, il faut être prêt à tout lâcher, même ce que nous avons de plus cher, notre propre vie. Et que de fois nous avons reculé. Nous sommes enclins à tenir la vie pour sacrée. Or, il y a des causes qui valent la peine de mourir. Mais y sommes-nous prêts ? Jésus déclare : « Si quelqu’un veut me servir qu’il me suive. » Suivre Jésus, c’est le suivre sur le chemin de l’amour, quoi qu’il en coûte, c’est prendre le chemin du Serviteur.

Alors autant dire qu’avec cette demande « Nous voudrions voir Jésus ? » nous sommes placés devant un choix à faire : ou bien servir le « Prince de ce monde », ou bien servir le Christ. Servir le « Prince de ce monde » c’est se faire complice de la violence qui peut s’exercer dans le monde y compris dans l’Église. Servir le Christ c’est mettre nos pas dans les siens, prendre son chemin d’humanité en renonçant à être les propriétaires de notre vie individuelle, à en être les idolâtres pour la donner en partage.

« Maintenant a lieu le jugement du monde » Jésus vient donc nous juger, étymologiquement, nous « mettre en crise », nous bousculer jusque dans ce qui constitue notre socle pour nous provoquer à prendre une décision qui va donner un cap différent à notre existence. Le Carême et le temps pascal sont une période privilégiée pour se placer face à cet appel fondamental à choisir la vie en plénitude, une vie donnée et partagée.

Aussi Seigneur nous te prions : Nous venons vers toi Seigneur Jésus comme ces « Grecs » de l’Évangile qui souhaitent te voir. Nous aimerions te suivre et nous faire tes serviteurs en entrant dans ce souffle qui t’anime de l’intérieur et qui te pousse à te donner à tous en partage. Nous bénissons ton Père pour la vie qu’il nous a donnée. Nous reconnaissons qu’il nous arrive de nous y agripper alors qu’il faudrait que nous apprenions à nous en dessaisir. Que ce Carême qui s’achève nous dispose à vivre, dès aujourd’hui, cette « heure », le passage entre la vie « qui se perd » et la vie « qui se gagne ». Allez, convertissons-nous et croyons à l’Evangile !