Homélie du dimanche 24 septembre

Imaginez la scène. En cette fin de saison des vendanges, des patrons vignerons du Beaujolais, s’en vont heure par heure, tout au long du jour, recruter des ouvriers. Quand vient l’heure de la paye, ils versent à tous le même salaire, sans tenir compte le moins du monde du nombre d’heures de travail de chacun. Les travailleurs se révoltent, les syndicats s’indignent : qui sont ces patrons ? Mais où va-t-on ? Une injustice pareille, du jamais vu !

   L’Évangile des ouvriers de la dernière heure, que nous venons d’entendre, ferait-il l’éloge de l’injustice et du caprice d’un employeur ? Poser la question, c’est la résoudre, il ne s’agit évidemment pas de cela. Alors, à quoi peut bien penser Jésus quand il raconte une histoire pareille ?

   Il est question d’un vigneron. Qui est-ce ? Il est question d’ouvriers envoyés à la vigne. Qui sont-ils ? pour quel travail ? Et dans quelle vigne ?

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Le vigneron, qui est-ce ? Le vigneron c’est Dieu. Jésus a en effet un message étonnant à faire entendre au sujet de Dieu, si bien que ce n’est pas d’abord de vendanges qu’il s’agit, mais de Dieu.

Qui est Dieu ? Comment s’imaginer Dieu ? A qui ressemble Dieu ?

Bien des gens disent – vous peut-être – je suis croyant, moi, je crois en Dieu. Oui, mais quel Dieu ? A quel Dieu croyez-vous ? Connaissez-vous le Dieu de la Bible, le Dieu que Jésus nous a révélé ?

Il faudrait relire la Bible et surtout l’Évangile. Lisez simplement toutes les paraboles pour pressentir qui est le Dieu que Jésus appelle son Père.

Si c’était un berger, il quitterait ses 99 brebis, pour courir après la brebis perdue.
Si c’était un père de famille, il accueillerait son fils ingrat qui a quitté la maison.
Si c’était un paysan, il sèmerait la semence à tous vents. Si c’était un vigneron…

Les paraboles sont des histoires où, tout à coup, rien ne se passe comme il serait normal. Elles contiennent toutes un grain de folie, un brin d’extravagance, de démesure. La parabole du vigneron ne fait pas exception. La démesure, c’est exprès pour piquer l’attention, pour nous préparer à entendre un message étonnant. La démesure, pour révéler le visage d’un Dieu qui nous aime avec démesure.

S’il s’agissait du patron d’un vignoble du Bordelais, il ne pourrait pas faire comme cela. S’il s’agit de Dieu, c’est pourtant absolument comme cela qu’il se comporte, nous dit Jésus.

Dieu embauche inlassablement, il appelle depuis toujours, à toutes les heures de l’histoire de l’humanité, à toutes les heures de la vie d’un homme. Vous êtes chrétien, peut-être de puis votre enfance, certains le sont à l’âge adulte, d’autres au terme de leur vie.

Dieu fait confiance à tous, même aux derniers venus, à ceux qu’on n’attendait pas, ceux qui ne s’y attendaient pas, ceux qui ne le méritaient pas. Avec Dieu, il n’est pas question de mérites, de salaire. Pas de barème, pas d’horaire. Ce n’est pas une question d’heures passées.

Ce vigneron révèle décidément un Dieu inimaginable, déraisonnable, qui donne gratuitement, sans comptabiliser les heures et les mérites, un Dieu qui ne désespère jamais de personne, jusqu’à la dernière heure, un Dieu pour qui il n’est jamais trop tard.

Cela vous étonne ? Pourtant, c’est tout l’Evangile ! Jésus a révélé cet amour gratuit de Dieu auprès de tous ceux qu’il a croisés sur son chemin. Combien étaient-ils qui désespéraient d’eux-mêmes, parce que leur entourage les avait méprisés, condamnés.

Pensez à la prostituée venue troubler de ses larmes et de son parfum le repas organisé par Simon le pharisien. Pensez à Zachée, le fonctionnaire véreux, pensez à la Samaritaine ou au larron en croix, un ouvrier de la onzième heure, celui-là, et même du dernier quart d’heure ! Jésus a posé sur eux tous un regard de tendresse qui, au-delà de leurs défaillances, a su rejoindre leur cœur et y faire luire l’espérance.

Rien de plus important pour nous, en ce dimanche, que d’accueillir et de contempler le visage du Dieu vigneron. Quelle bonne nouvelle !

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   Bonne nouvelle, oui, mais il reste une question tout de même, vous vous la posez, vous aussi sans doute. Elle est radicale : c’est une bonne nouvelle, d’accord, mais beaucoup trop bonne pour être vraie. Si, quoi qu’on fasse, Dieu nous aime quand même, vous ne trouvez pas que c’est un peu facile, et un encouragement à la passivité ?

Mes amis, il ne faut tout de même pas lire l’Évangile à l’envers. Jésus ne nous dit pas qu’on peut faire de sa vie n’importe quoi. Dans cette parabole et dans tout l’Évangile, il nous dit qu’aucune de nos infidélités ne lasse la fidélité de Dieu et qu’il attend l’heure où nous serons enfin prêts, même si c’est la onzième heure, à répondre à son invitation à rejoindre ceux et celles qui travaillent à sa vigne.

” Allez à ma vigne, vous aussi “ Alors au travail ! Il n’est jamais trop tard pour s’y mettre. La foi chrétienne nous met au travail. Ce n’est pas un état d’âme si élevé soit-il, c’est d’abord la volonté d’agir pour faire advenir concrètement en ce monde le Royaume de Dieu. C’est cela travailler à la vigne.

Il s’agit d’accepter d’être comme le Christ au milieu du monde. Mais le Christ n’a pas d’autres mains que les nôtres pour transformer le monde. Les mains du Christ, le regard du Christ, la tendresse du Christ doivent désormais passer par nos mains, nos yeux et notre coeur.

Nourrir ceux qui ont faim, vêtir ceux qui sont nus, soigner, visiter, accueillir, pardonner, autant de gestes concrets qui vont signifier pour nous une réponse vraie au maître de la vigne qui nous embauche.

Travaillons d’abord dans le petit arpent de vigne qu est le nôtre : la famille, l’école, la profession etc. Mais il faut aussi prendre notre part à un travail plus vaste, car la vigne qui nous est confiée ne se limite pas aux quatre murs de nos appartements, elle est vaste comme le monde. Il y a du travail, car le monde a mal, la terre a mal. Il s’en faut de beaucoup que les fruits de la vigne soient partagés entre tous les hommes, entre tous les continents.

Beaucoup sont attelés à cette tâche, heureusement, et les chrétiens n’en ont pas le monopole. Mais il serait étonnant, il serait scandaleux, que les chrétiens qui croient avoir une réponse à donner au Dieu qui les habite, ne soient pas aux avant-postes avec les autres, pour dénoncer ce que j’appelle l’inhumain sous toutes ses formes et pour faire advenir un monde plus humain.

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Voilà quelques-uns des accents que l’on peut retenir de cette parabole qui nous paraissait étrangère à notre vie et qui en est si proche.

Le vigneron, c’est Dieu, un Dieu inattendu qui n’a pas fini de nous surprendre.

Les ouvriers envoyés à la vigne, ils sont inattendus eux aussi. Ils ne s’y attendaient pas, parce que c’est nous tous.

Liubomyr PETSIUKH

Responsable communication

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